L’été à poil

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L’été est là, j’ai été à la plage, et j’ai: des poils. Une mise à jour s’impose donc par rapport à ce sujet dont j’ai déjà parlé. Je vais livrer mon ressenti, il n’a pas prétention à être véridique; il peut être teinté d’une amertume dû à un sentiment d’hypocrisie et d’injustice et sera certainement biaisé. Je voudrais donc prévenir mes lecteurices: je n’écris pas pour accuser ou accabler les femmes qui continuent à s’épiler; j’écris pour peut être soulager celles qui ont arrêté de s’épiler, et qui comme moi passent un été moins serein. J’écris parce que ce qui peut paraître évident ne l’est pas pour tout le monde. L’été n’est pas terminé, je vais sans doute avoir beaucoup de choses à dire et je ne veux pas attendre la fin de l’été, quand mes camarades poilues auront passé l’été seules avec leurs complexes, pour m’adresser à elles.

Parler de poils sur le corps féminin en hiver, c’est tout autre chose que d’en parler en été. En hiver, le débat est ouvert; en été, la réalité des comportements se met en place, et souvent, ce n’est pas tellement en accord avec ce qui a été dit pendant l’hiver. Pendant l’hiver, les personnes sont promptes à dire que l’épilation n’est ni une souffrance ni une obligation, certaines ont réagi à mes articles en disant qu’elles se sentaient totalement libres de le faire ou non et que je dramatisais trop. Cependant, l’été et les grosses chaleurs arrivent, et pas un demi poil à l’horizon, parmi cette immense population de femmes qui m’assuraient qu’elles n’avaient aucun problème avec leurs poils, il n’arrive jamais qu’elles aient un léger retard. On m’assure que la société n’a pas de problèmes avec les poils, mais les pubs pour la cire avec des femmes imberbes reviennent chaque année; les vidéos de youtubeuses beauté sur l’épilation définitive reviennent aussi. Vraiment, j’ai dramatisé cet hiver sur la haine des poils.

Venons-en à mon quotidien de femme ayant des poils dans une société qui accepte vraiment les poils. Je ne passe pas 24h sans qu’on me fasse un commentaire, dont je vous présente quelques échantillons garantis made in patriarcat:

Les négociations hypocrites: « T’es sûre que tu veux pas passer juste un petit coup de rasoir pour cette semaine? C’est qu’un coup de rasoir ça prend 5 minutes! ». Ces mêmes personnes qui quelques années auparavant m’ordonnaient de tout épiler à la cire car sinon les méchants poils reviendraient plus souvent et plus noirs deviennent soudainement adeptes du rasoir, parce que vraiment, tout est préférable à l’existence de mes poils. Les standards et les exigences se déguisent en supplications et en pseudo concessions. Ok je t’accorde que la cire ça fait mal mais rase toi. Ok tu t’épile pas de l’année, mais juste cette semaine. Juste un petit coup de rasoir, c’est rien disent-ils. Le fait même qu’ils le présentent ainsi montre que ce n’est pas rien. Ce n’est pas un rituel religieux, ni un régime à tenir, et pourtant c’est présenté comme tel. Comme si je m’étais imposée une autre règle, une autre obligation, celle de laisser pousser mes poils. Effectivement, si je me rasais une fois, ça ne changerait pas grand chose pour moi. Mais pour elleux, ça changerait tout: ielles en seraient soulagé.e.s, soulagé.e.s d’avoir réussi à obtenir une concession sur ma manière de gérer mon corps. Soulagé.e.s d’avoir été obéis, soulagé.e.s que je sois comme ielles le voudraient. Mais même si j’acceptais de me raser « juste une fois » « juste pour cette semaine à la plage », je ne les ferais pas taire, car ielles continueraient en s’empressant de me dire tous les jours « tu vois, c’est mieux! » comme si en m’épilant je leur donnais raison, comme si en m’épilant j’admettais finalement que les poils, c’est moche. C’est pourquoi même si je voulais effectivement me raser, j’aime mieux refuser jusqu’au bout, jusqu’à ce qu’on cesse de demander. J’aurai des poils jusqu’à ce qu’on arrête de me parler d’eux.

Autre concession hypocrite: « Bon, ceux-là c’est bien ils sont blonds, ça va, mais les noirs!! » « tu voudrais pas les décolorer? ou faire une couleur au moins? ». D’abord, je voudrais rappeler le caractère discriminant voire raciste de l’appréciation des poils blonds ou noirs: les poils « autorisés » sont évidemment ceux des blondes blanches, en somme, des femmes les plus privilégiées, on dira faussement que c’est parce qu’ils se voient moins; comme si ces femmes avaient plus le droit que les autres d’avoir des poils. C’est faux. Ce commentaire montre tout le problème d’argumenter au niveau esthétique contre les poils. Tout devrait être beau chez nous. Nous devrions tout accessoiriser, tout soigner, car nous sommes supposément faites pour plaire, pour être belles et non pas pour vivre. C’est ainsi qu’on se retrouve avec des masques hydratants pour les pieds et avec l’idée que des jambes poilues sont laides, alors que nos pieds et nos jambes n’ont pas d’autre vocation que celle de nous permettre de se tenir debout, et même dans le cas où elles ne servent pas à être debout, elles font partie de notre corps c’est tout . Mes poils n’ont pas à être beaux. Mes poils sont là, comme mon corps, ils existent simplement. Mon corps vit et je n’en suis pas désolée, je ne chercherai pas à le dissimuler pour honorer la sainte, très très objective et non politique ou culturelle esthétique. Je n’ai pas à chercher absolument à accessoiriser, à faire des couleurs à mes poils. Je comptais les teindre, mais là encore, puisque ça dérange tant, autant les laisser bien noirs. Là encore, si j’acceptais de les teindre, on trouverait encore quelque chose à dire, ce serait l’occasion rêvée de me juger. De « meuf dégueulasse », je passerais dans les esprits à « femen 2.0 de merde ». Encore une fois cette concession ne m’apporterait aucune forme de repos.

Les faux compliments: « t’es belle, y a qu’un truc qui me gêne. » « Tu serais tellement plus jolie sans ces poils! » « c’est dommage tu as de belles chaussures mais on voit tes poils ». Il est intéressant de noter que ma beauté se réduit à des poils. Apparemment, et énormément de films l’ont confirmé, je pourrais être ultra canon, si j’ai des poils, ça gâcherait tout. Soudainement, le poil prétendu sans importance, devient le centre de mon potentiel esthétique. Sans des jambes imberbes, aucune chance d’être belle. Comme si  je n’étais que cela, comme s’il n’y avait rien d’autre à voir. Soudainement, ces poils inconnus deviennent le centre du monde, la chose la plus importante et aveuglante. Ces poils sont suffisamment importants pour empêcher un compliment. C’est beaucoup d’empêchements pour quelques malheureux poils que tout le monde prétend « tolérer ».

La monstration et la deshumanisation. Face au constat que leur avis me glisse dessus pour se perdre dans les limbes de l’oubli, certaines personnes cherchent des soutiens, et me montrent à leurs camarades. « Regarde, elle a des gros poils ! » et autant de formulations faites pour inciter les autres à commenter eux aussi, et à engager une conversation sur mes poils à laquelle je ne suis visiblement pas conviée. C’est ainsi que tout le monde se lance dans un débat pour savoir si je fais bien d’avoir des poils, me rendant objet silencieux d’une conversation qui n’a pas lieu d’être car je n’ai rien demandé à personne. Tout le monde y va de son petit avis pour arriver à une conclusion extrêmement surprenante et intéressante: non, vraiment, c’est moche. Mais hommes ou femmes, cette réunion dans la critique ne la rend pas plus légitime ; vous démontrez simplement votre désir de penser comme les autres, d’être comme les autres, de vous conforter dans la norme et de soigner vos propres insécurités. Je vous laisse avec votre conscience, la mienne est sereine.

L’intrusion physique. Il semblerait que le caractère exceptionnel de mes poils étonne, je suis au minimum un objet de curiosité, c’est pourquoi certains désirent tant me montrer du doigt et m’exposer au regard de leurs pairs en disant: « regaaarde! ». Puisque je deviens objet d’exposition, aboutissons le sentiment de passivité: certain.e.s se croient autorisés à me toucher, à caresser les jambes, voir à me tirer les poils pour certains hommes. Ce qui vous dérange sur un corps n’est ni à pointer du doigt ni à toucher, même s’il est difficile de comprendre que le corps des femmes n’est pas en libre service.

Cette liste n’est même pas exhaustive. On voit donc avec ces expériences que les poils ne sont vraiment pas un problème dans cette société et qu’après tout je dramatise, puisque personne n’a de problèmes avec ça et chaque femme a le choix en été: soit elle s’épile, soit elle devient une bête de foire à qui on peut tout dire et tout faire. Choix aisé, n’est-ce pas! L’épilation est un « choix personnel » que tout le monde commente.

Courage à mes camarades poilues, donc.

21 commentaires sur “L’été à poil

  1. Je te comprends tout à fait ! Personnellement je suis allée a la plage cette aprem alors que je me suis rasée il y a quelques jours et que mes poils ont un peu repoussé… Je ne me suis pas trop sentis mal a l’aise, mais je n’arrive toujours pas à laisser mes poils tranquille en été. Ceux du visages ça va, je m’en moque un peu mais pour les jambes et les aisselles, je le fait moins souvent qu’avant et ce n’est plus un drame pour moi de sortir si ils ont un peu repoussé mais je n’arrive pas tout à fait a me détacher du regard des autres… Peut être que ça viendra avec le temps ?

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    1. C’est un excellent début! Et oui ça vient avec le temps, j’ai décidé de ne plus m’épiler en automne, donc l’été d’après mes poils étaient déjà super longs. J’étais terrifiée à l’idée de sortir « comme ça » mais au final il ne s’est rien passé de grave. Comme c’est un complexe on croit que des qu’on mettra le pied dehors tout le monde saura et sera dégoûté mais en vérité y’a des gens qui ne remarquent même pas.

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      1. Merci 😊 oui c’est vrai que les gens font pas si attention que ça ! J’espère que l’été prochain j’aurais franchi le cap ! En tout cas merci pour tes articles sur le sujet ça m’aide beaucoup !

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  2. Perso j’ai arrêté de me raser les aisselles, déjà parce que y a 3 poils à peine naturellement. Les jambes, ça me dérange de moins en moins aussi. Mais là où j’ai du mal, c’est le maillot. Mais après, c’est plus par confort personnel que par peur du regard n_n

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    1. Pour le coup le maillot c’est une autre histoire et c’est un endroit qu’il est encore plus déplacé de commenter sur les autres. Je pense que comme pour tous les autres poils on peut parfaitement s’habituer à laisser pousser, tout dépend de ce que toi tu veux, je ne me permettrai pas de statuer à ta place !

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  3. Les poils étaient pour moi une arme pour faire fuir les hommes, comme j’avais peur d’eux et que je savais que les poils étaient bannis je m’en suis servi. Par contre, ce qui me dérange, c’est le comportement de ma mère qui ne supporte pas les poils. Du coup, forcément, je suis un peu atteinte donc je me rase mes gros poils longs et noirs quand vraiment il y en a trop. Lorsque je lis ton article, je me dis que tu en as beaucoup du courage et que j’aimerai bien faire comme toi. J’ai conscience de notre société patriarcale mais la pression sociale est trop forte pour l’instant pour que je puisse prendre la décision de ne plus me raser définitivement. Merci pour cet article !

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    1. Je pense que les poils ne nous épargnent pas les violences de la part des hommes. Ce n’est pas parce que j’ai des poils qu’on a arrêté de me parler dans la rue par exemple… Les hommes, au lieu de me draguer, se permettent à la place de commenter mon apparence (ce qu’ils feraient de toute façon) pour me dire qu’ils désapprouvent voir me rabaisser; ils substituent une violence par une autre. Bref malheureusement ce n’est pas une véritable porte de sortie… Cela dit effectivement d’une certaine manière ça nous permet de faire le tri dans notre entourage. Je comprends pour ta mère, c’est difficile. Je pense que la seule chose que je puisse te dire à ce sujet c’est qu’il faut de souvenir que ta mère aussi est née et a été élevée dans une société patriarcale et comme tout le monde elle peut avoir tort, comme toutes les femmes elle peut avoir une misogynie intériorisée. Ca ne l’empêchera pas de t’aimer comme sa fille parce que quand elle te dit ça c’est la société qui parle et pas elle. Moi aussi j’ai eu peur et moi aussi ça me fait beaucoup de mal parfois tu sais mais avec le temps on peut y arriver vraiment. Tu n’es pas obligée de laisser pousser «  » »à l’extrême » » » pour être courageuse, c’est déjà beaucoup de laisser pousser ceux qui se voient moins !! Courage à toi, tu n’es pas seule et tu y arriveras !

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  4. Merci pour ce partage ! Sur ton article « S’épiler n’est pas prendre soin de soi », je te faisais part de ma peur de sortir avec les jambes velues à cause du regard des autres. Hé bien en fait, ça fait deux mois que je me balade avec ma toison au vent et je n’ai jamais eu aucune remarque ! J’en suis moi-même étonnée !
    Du coup, je suis triste pour toi que tu te prennes autant de commentaires dans la figure, et aussi révoltée. Le tout c’est de ne pas baisser les bras !
    Je remarque que de plus en plus de filles arrêtent de s’épiler aussi. Je trouve ça extraordinaire ! Un beau jour, la société acceptera que chacun et chacune fasse ce qu’il ou elle veut de son corps 🙂
    J’ai aussi écris un article sur la circulation dans l’espace public quand on est poilue sur mon blog, tiré de mon expérience. Je serai heureuse de pouvoir échanger avec toi sur le sujet 🙂

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    1. Félicitations c’est génial d’y être parvenue ! Ne t’inquiète pas pour moi plus iels se répètent plus je trouve ça ridicule ! Oui on va y arriver. Je vais voir si je peux trouver ton article et le lire alors !!

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  5. J’ai croisé cette année pour la première fois 2 filles avec leurs jambes poilues et découvertes, ca m’a impressionnée et réjouie, c’est donc possible! J’avoue qu’étant dans un pays froid, je ne montre de toute facon pas beaucoup mes jambes, ce qui m’aide beaucoup. Mais je continue à m’épiler quelques fois dans l’année, justement pour ne pas avoir les gros poils noirs. Je ne suis pas encore prete à les voir sur mes jambes, peut-etre ue ca viendra. Bravo en tout cas pour ton courage et ta patience.

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    1. Merci beaucoup! Oui, quand on a l’occasion de les cacher c’est plus simple, ou en tout cas les autres ne s’ajoutent pas à tes propres complexes et tes propres difficultés. Pour tout dire moi non plus je ne suis pas à 100% habituée mais personnellement c’est la flemme qui gagne, entre ne pas trop aimer mes poils et me les arracher, je choisis la solution rapide et indolore!

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  6. Punaise je suis désolée et en colère que tu te prennes autant de remarques… J’ai passé un été avec mes poils bien longs (là ça fait un an que j’y ai pas touché), je n’en ai eu aucune, ni au printemps ni en été…Je ne sais pas à quoi peuvent être dues ces différences. Je pense que dans ma famille (même au sens large) la plupart n’ont réellement pas remarqué, et que mes amis comprennent la démarche, et mon copain s’en fout royalement donc ça va. Mais dans d’autres contextes c’est sans doute plus dur

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    1. Oui ça dépend du milieu dans lequel tu vis, de ta famille. Après il y a des bonnes expériences comme aujourd’hui où un homme m’a marqué une certaine admiration pour l’assurance que je montre. Mais j’avouerais qu’elles sont rares. Mais ça ne me décourage pas c’est ce qui compte, chaque commentaire en plus me renforce et m’apporte plus de détermination! Merci pour ton soutien en tout cas ça me touche beaucoup!

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